Déjà y a un truc qui me choque, pourquoi on "voudrait aimer" des auteurs ? Pour rentrer dans la norme ou parce que tu ressens quelque chose d'unique dans l'œuvre sans parvenir à y accéder ? Parce que franchement, si c'est la première, te fatigue pas. Personne ne te force à aimer des auteurs. En ce qui me concerne, je m'efforce un maximum à
faire lire voire à essayer de convaincre quelqu'un de la qualité d'un livre, d'un auteur ou d'une nouvelle, mais jamais à
faire aimer. Je considère Stephen King comme l'un de plus grands écrivains du XXe-XXIe siècle et l'avenir me donnera raison, point barre (m'enfin, je sais pas si c'est nécessaire, il est déjà auréolé de son vivant). Plusieurs membres ici trouvent certains livres de King bof (y compris toi) et ça ne me fait absolument rien.
Il existera toujours des personnes qui n'aimeront pas
La joconde, ou Mozart et Beethoven. Donc bon.
Quand tu dis que t'as lu plusieurs bouquins, c'était à chaque fois des recueils de nouvelles ? Parce que j'estime qu'il faut en lire
plusieurs à la suite pour être sous le charme.
Ce qui est censé faire peur est qu'il ne décrit pas le monstrueux, on est toujours dans le vague "l'indicible horreur" etc.
Faux.
Oui, il tartine ses pages de "indicible", "innommable", "inimaginable", mais la ligne d'après, il le dit, il le nomme, et il l'imagine.
C'est une technique littéraire qui fonctionne et qui marche un peu comme l'hypnose : répétition de quelque chose de vague, d'une sensation, puis quand le lecteur est bien travaillé, il envoie le lourd ; les visions, les fantasmes, les cauchemars. Mais en effet, il est toujours sur la ligne de la suggestion et du sous-entendu. Et quelque part, c'est pas un peu ça, le principe de la littérature de l'horreur ou de n'importe quel genre d'horreur ? (Steven Spielberg, pendant le tournage des Dents de la mer, a rencontré un obstacle : il était totalement dégoûté des marionnettes de requin,
elles n'étaient pas du tout réalistes. Il a fait quoi ? Il les a virées. À la place, il filmait l'aileron qui dépassait de la surface de l'eau ou la barque qui se déplaçait toute seule, etc. Quand on laisse le travail d'imagination au spectateur, c'est vraiment là où on touche au vrai film d'horreur.)
Là où je me reconnais dans son écriture, également, c'est que ses nouvelles sont toujours des expériences après-coup. Genre il a eu une vision, un rêve, un cauchemar de barjot puis il essaie de le retranscrire le plus fidèlement... Moi quand je sors de plusieurs PS en boucle de 20-30 min, quand j'essaie de raconter, tu sais quels termes j'emploie ? "C'est irracontable, je n'arriverai pas à l'exprimer avec des mots, blabla", franchement, j'y arrive pas, le langage bute sur ce qui n'est pas exprimable. Puis finalement, à l'issue de la séance d'écriture, je t'aurai pondu un putain de pavé. Et c'est cette tension entre
la volonté de transmettre et
l'effort de transcription (le premier entraîne le deuxième) qui fait du texte un objet attirant et hypnotique. Je dis pas que mes récits de PS et cauchemars lucides sont aussi bons que ceux de Lovecraft (car, oui, je suis persuadé à 3000% qu'il avait des expériences du genre dans son sommeil), mais c'est exactement la même démarche. Il a vécu un truc de fou et il veut le raconter. Par conséquent, toutes les techniques d'écriture qui en découlent sont presque des techniques inconscientes, nécessaires pour arriver à ses fins.
Est-ce que aussi le fait que tu sois aphantasique ne joue pas dans la perception de certaines œuvres littéraires ? Les textes de Lovecraft sont bourrées d'images quand même indispensables à la bonne appréciation de l'histoire.
Tout ça pour entendre, de la part des fervents admirateurs de Lovecraft que "J'y ai longuement réfléchi, je suis un fan inconditionnel, et pourtant ça ne fait pas spécialement peur, ce n'est pas spécialement bien écrit. Je ne sais pas pourquoi j'aime."
Je n'en suis donc pas ressortie changée.
Cette phrase citée me paraît vraiment bizarre. Mais ça me fait penser à ce que raconte King dans ses conférences/interviews. Quand un lecteur de 40 piges lui dit que
The shining ne lui a pas vraiment fait peur, King répond : "Ouais ! c'est normal, quand tu lis le livre à 18 ans dans ton lit le soir, tu te chies dessus. Mais là, t'as 40 ans mec !" Lovecraft me fait moins peur aujourd'hui qu'il me faisait peur quand je l'ai découvert à 20 ans. Il m'a fait faire des PS monstrueuses, ce chien. (L'effet de découverte y est pour beaucoup.)
Alors ensuite, il peut trouver que c'est mal écrit, que ça ne lui fait pas spécialement peur, mais il peut parfaitement apprécier l'histoire en elle-même, car les histoires de Lovecraft sont très originales (elles ont ouvert la voie à tout un pan du genre de l'horreur) et souvent les chutes sont géniales ("The beast in the cave", juste énorme la chute). C'est bien construit, l'incipit donne un vrai élan.
Je tenterai tout de même un de ses bouquins sur le thème du rêve. Si ça me plait, tant mieux, si ça me déplait, tant pis, ça sera le dernier.
Voilà, ça me paraît bien comme ça. Au moins t'as été curieuse et t'as fait un effort de lecture, tu peux argumenter ton avis. Je préfère 100 fois cette démarche que celle qui consiste à se contenter de la réputation de l'auteur ou du livre pour avoir un avis (de merde le plus souvent). (Ça marche aussi avec les humoristes.)
Edit rajout : Malgré leurs incompréhensions de pourquoi cet amour, cette passion, tous ont reconnu le sens indéniablement accrocheur de ses incipit.
Voilà. Mais après, pourquoi tu te fies à l'avis des gens ? Tu fais ça avec tous les auteurs que t'es "censée" aimer ? Genre moi j'ai détesté
L'écume des jours, mais genre j'ai vraiment trouvé ça à chier. Pourtant, j'm'en fous, je veux pas forcément essayer de comprendre pourquoi, en quoi les fans aiment ça. Moi j'ai lu, j'ai vu, et puis voilà, ça s'arrête là.