Voici St-Thomas d'Aquin qui écrit sur le rêve lucide et cite Aristote :
Somme théologique, question 84
ARTICLE 8: Le jugement de l'intellect est-il empêché par la paralysie des facultés sensibles?
Objections:
1. Il semble que non. Car le supérieur ne dépend pas de l'inférieur. Or, le jugement de l'intelligence est au-dessus de l'opération des sens.
2. Raisonner est un acte intellectuel. Or, dans le sommeil, le sens est réduit à l'inaction. Il arrive néanmoins qu'on raisonne en dormant. Le jugement de l'intelligence n'est donc pas entravé parce que l'action du sens est arrêtée.
Cependant:
ce qui arrive de contraire aux bonnes moeurs, durant le sommeil, n'est pas imputable comme une faute, dit S. Augustin. Ce ne serait pas le cas si l'homme avait alors le libre usage de la raison et de l'intelligence. L'exercice de la raison est donc entravé par l'immobilisation du sens.
Conclusion:
L'objet propre de notre intelligence est, nous l'avons dit à l'article précédent, la nature de la réalité sensible. Or, on ne peut juger parfaitement d'une chose si l'on ne connaît tout ce qui s'y rapporte, et surtout si l'on ignore le terme et la fin du jugement. Selon Aristote " de même que l'oeuvre est la fin de la science technique, de même la fin de la science de la nature est principalement le donné de la connaissance sensible ". L'artisan ne se préoccupe de connaître le couteau qu'en vue de son travail, pour fabriquer ce couteau particulier. Pareillement, l'homme des sciences de la nature ne cherche à connaître la nature de la pierre ou du cheval que pour savoir la définition des réalités perceptibles au sens. Il est évident que l'artisan ne pourrait juger parfaitement du couteau, s'il ignorait le travail qu'il fait; ni l'homme de science, des réalités naturelles, s'il ignorait les choses sensibles. Or, tout ce que notre intelligence atteint, dans la vie présente, nous le connaissons par rapport à ces choses sensibles et naturelles. Nous ne pouvons donc avoir de jugement intellectuel parfait lorsque le sens, qui nous fait connaître les réalités sensibles, est empêché d'agir.
Solutions:
1. L'intelligence est supérieure au sens; elle dépend cependant de lui d'une certaine façon. Ses objets immédiats et principaux ont leur origine dans le sensible. Il est donc inévitable que le jugement de l'intelligence soit empêché par l'inactivité du sens.
2. Le sens est lié chez le dormeur en raison de certaines évaporations, de vapeurs qui se dissipent, comme il est dit au livre Du Sommeil. Aussi, selon l'état de ces vapeurs, le sens se trouve-t-il plus ou moins lié. Quand il y a un grand mouvement de vapeurs, non seulement le sens est lié, mais l'imagination aussi, et alors il n'y a plus de représentation d'images; surtout lorsqu'on s'endort après un repas copieux. Quand le mouvement des vapeurs est plus lent, il y a bien des images, mais déformées et sans ordre; par exemple chez les fiévreux. Et si le mouvement est encore plus calme, on a des images ordonnées; cela se produit surtout vers la fin du sommeil, et chez les hommes sobres et doués d'une forte imagination. Si le mouvement est faible, non seulement l'imagination se trouve libre, mais même le sens commun est particulièrement libéré; à ce point qu'on juge parfois en dormant que ce qu'on voit est un rêve, comme si l'on discernait entre les réalités et leurs images. Cependant, le sens commun reste quelque peu lié; tout en discernant entre certaines images et les réalités, il se trompe toujours sur quelques-unes de ces images. - Donc, dans la mesure où le sens et l'imagination demeurent libres dans le sommeil, le jugement de l'intelligence a son libre exercice, mais non pas totalement. Par suite, ceux qui raisonnent en dormant reconnaissent toujours au réveil qu'ils ont fait quelque erreur.