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ce texte de Synésius (v. 370 - v. 414)
Voici un paragraphe :
26. Voulons-nous saisir l’esprit de nos auditeurs? Pour réussir à leur communiquer nos impressions et nos idées, il faut un langage vif et animé. En songe, on est vainqueur, on marche, on vole. L’imagination se prête à tout; la parole a-t-elle les mêmes facilités? Parfois on rêve que l’on dort, que l’on a un rêve, qu’on se lève, qu’on secoue le sommeil, et l’on est toujours endormi; on réfléchit au songe que l’on vient d’avoir: cela même est encore un songe, un double songe; on ne croit plus aux chimères de tout à l’heure; on s’imagine être maintenant éveillé, et l’on regarde ses présentes visions comme des réalités. Ainsi se produit dans l’esprit un véritable combat; on se figure que l’on fait effort sur soi-même, qu’on chasse le rêve, qu’on ne dort plus, qu’on a repris la pleine possession de son être, et qu’on cesse d’être la dupe d’une illusion. Les fils d’Aloüs, pour avoir voulu escalader le ciel, en entassant les uns sur les autres les monts de la Thessalie, furent punis; mais quelle loi interdit à celui qui dort de s’élever au-dessus de la terre sur des ailes plus sûres que celles d’Icare, de devancer le vol des aigles, de planer par delà les sphères célestes? On aperçoit de loin la terre, on découvre un monde que la lune même ne voit point. On peut converser avec les astres, se mêler à la troupe invisible des dieux qui régissent l’univers. Ces merveilles, qui ne peuvent se décrire aisément, s’accomplissent pourtant sans le moindre effort. On jouit de la présence des dieux sans être exposé à la jalousie. Sans avoir eu la peine de redescendre, on se retrouve sur la terre; car un des privilèges de nos rêves, c’est de supprimer le temps et l’espace. Puis on cause avec les brebis : leur bêlement devient un langage clair et distinct. N’est-ce pas là un vaste champ ouvert à une éloquence d’un nouveau genre? De là sans doute est venu l’apologue qui fait parler le paon, le renard, la mer elle-même. Ces hardiesses de l’imagination sont peu de chose comparées aux témérités des songes; mais, bien que l’apologue ne soit qu’une reproduction très affaiblie de quelques-uns de nos rêves, il fournit cependant une ample matière au talent des sophistes. Mais après s’être essayé dans ce genre, pourquoi l’écrivain ne se perfectionnerait-il pas en s’exerçant sur les songes? Par là on ne se forme pas seulement à l’art oratoire, on gagne aussi en sagesse.