Le surréalisme, c'est le rêve qui fait irruption dans le réel, c'est l'Inconscient qui se promène incognito, pour adapter une phrase de Théophile Gautier à mon sujet. La connerie c'est la décontraction de l'intelligence, disait Desproges, le surréalisme c'est la décontraction du réel. Ou alors c'est simplement le signe des limites de la compréhension humaine face à la libre circulation des événements dans le monde. Un rappel que ce dernier a sa propre logique que nous ne partageons pas tout le temps. L'inconscient fait sa propre cuisine et on la mange sans broncher. Le spectacle de la réalité est écrit et réalisé par un auteur méconnu mais intrigant qui n'a pas d'autre but que de distraire quiconque se trouverait dans la salle tout en étant totalement indifférent à la réception de son œuvre ; c'est une machine à écrire. Espèce d'artisan attelé à son ouvrage jour et nuit, faisant feu de tout bois, produisant un livre en continu, qui ne laisse place à aucune page blanche ni hésitation. La nature n'hésite jamais. Vous avez déjà vu une rivière hésiter de cours ? Il n'est jamais à court de chemin.
Le surréalisme, c'est aussi ce qui est "sur" le réel, comme un caractère "en plus", qui se superpose. Alors que l'irréalité serait carrément un refus du réel. "Ça ne peut pas se passer". L'hallucination est l'exemple le plus frappant de cette irruption du rêve dans la réalité, comme si ce dernier, parfois sous pression, se fissurait pour laisser s'échapper un gaz. "J'hallucine" est devenu une expression courante. Comme si on voulait à tout prix se rassurer face à une situation inexplicable. Mais il faut laisser venir. Non, on n'hallucine pas, c'est juste la réalité qui sursaute.
Le rêve maintenant. De l'allemand "traum", qui fait penser à "trame" : « tissu, charpente d'un corps organisé » (d'après cntrl.fr). Et "tissu" me fait penser à "yarn" en anglais qui a deux signification :"tisser un fil" et "raconter une histoire". Ça nous renvoie automatiquement au lien qu'il peut y avoir entre le déroulé d'actions et le fait de tisser (par exemple : "dénouer une intrigue" ou "j'ai perdu le fil"). Toujours selon cntrl.fr : Du lat. trama « chaîne; trame; tissu ». Évoquons aussi les trois sœurs de la mythologie grecque qui apparaissent dans le dessin animé Hercule de Disney (c'est ma référence, j'assume): Clotho la "fileuse" tisse le fil de la vie, Lachésis la "répartitrice" le déroule et Atropos l'"implacable" le coupe. Elles sont les symboles, respectivement, de la naissance, la vie (la distribution des destins) et la mort.
"Traum", rêve, récit, mais aussi "trace" et "traumatisme". Le rêve, c'est un traumatisme de la nuit vite effacé le matin (enfin, ça dépend desquels). Ça m'étonne qu'encore aujourd'hui, on n'ait pas d'avis tranché sur sa fonction (beaucoup de scientifiques ont leur propre réponse à cette grande question : "à quoi servent les rêves ?" mais c'est difficile de tous les mettre d'accord) alors que personnellement ça me paraît évident. Les rêves nous intriguent depuis l'aube des temps et je suspecte que leur fonction est de nous inonder d'absurdité pour mieux supporter l'austérité et l'apparente solidité du réel (les zones logiques du cerveau s'éteignent pendant la nuit, pas pour rien), comme l'humour permet de respirer dans une situation trop sérieuse ou tendue. Il nous faut notre dose de surréalisme quotidien pour survivre. On déconstruit pour mieux reconstruire au réveil. On prend les mêmes pièces du puzzle et on recommence. Notre vision du monde a perpétuellement besoin d'être visitée et revisitée de manière régulière pour se calquer sur la réalité tout simplement car cette réalité est mouvante elle-même. Et allez savoir si c'est pas les rêves qui sont les plus logiques au final.
Ça paraît surréaliste, non ?