J’écris ceci pour tenter de faire le point sur nos avis concernant l’autonomie des personnages de rêve – c’est-à-dire leur (in)dépendance par rapport au rêveur. Je crée un nouveau sujet pour éviter de « polluer » le JR de Paul.
C’est un sujet qui pourrait faire consensus, le « bon sens » paraissant suffisant : le rêveur rêve avec son cerveau, lequel déconstruit et reconstruit des éléments du réel pour concevoir quelque chose de neuf, que ce soient les décors, les personnages, les sensations, les conversations, etc. Il n’y a là aucun besoin de transcendance a priori – sans compter que les capacités incroyables du cerveau semblent lui permettre d’accomplir un tel prodige toutes les nuits.
Ce « sens commun » se heurte pourtant à ce que l’on peut difficilement balayer d’un revers de main : d’abord, le rêve se « nourrit » d’éléments extérieurs, qu’ils précèdent le rêve (ce qui s’est passé dans la journée ou des années plus tôt) ou qu’ils soient simultanés au rêve (par exemple le bruit du voisin qui tond sa pelouse). Le rêve ne fonctionne donc pas qu’en circuit fermé, il est régulièrement capable de co-construction : intégrer des éléments exogènes à son scénario. Si on considère qu’une partie du réel nous est invisible et insoupçonné sauf de la science (certaines fréquences de couleurs, de sons, des ondes, des changements atmosphériques, etc.), on peut, tout en restant dans la conjecture, gloser sur de l’invisible et de l’insoupçonné y compris de la science, aujourd’hui à l’instant « t ».
Ensuite, nous sommes nombreux à avoir ressenti la « réalité », par exemple des PR, au sein même du rêve…alors même que nous avions conscience de leur prétendue « irréalité ». C’est à un point où, comme Narratick et moi avons pu le relater dans des RL précédents, dans ces moments, l’indépendance des PR par rapport au rêveur semble la réponse la plus rationnelle. Et j’ajouterais que le corps habituellement reconnaît plutôt bien ses « corps étrangers » (par exemple une greffe). Voilà la raison pour laquelle j’ai évoqué l’autonomie des PR en la comparant au fameux test, ironique, du canard décrit par Riley : « Quand je vois un oiseau marcher comme un canard, nager comme un canard et cancaner comme un canard, j'appelle cet oiseau un canard. » Que l’on pourrait transposer en : « Quand je vois un être se déplacer de façon autonome, parler de façon autonome, exprimer des sentiments de façon autonome, je considère cet être comme un être autonome. »
Enfin, considérer le rêve comme absolument endogène est une position qui nous est naturelle mais qui est relativement peu partagée par l’ensemble de l’humanité. Ainsi, le « yoga du rêve » distingue les rêves qui ne concernent « que » le rêveur avec d’autres rêves (dont les RL) qui, eux, sont transcendants. Inutile aussi de rappeler qu’il en est de même chez les shamans mexicains. Ce qui m’a frappé par exemple dans la description que faisait Jeremy Narby de « l’esprit » de l’Ayahuasca, c’est précisément le fait que les shamans en parlent comme une entité bien concrète, et non pas comme une métaphore. Il dit : « Pour eux, ces esprits étaient aussi réels que les ondes de ma radio. » On revient donc à de l’invisible et insoupçonné, mais « connu », quoique par des rationalités différentes des nôtres.
Semer le doute sur l’autonomie des PR ne les rend pas pour autant « assurément autonomes », c’est vrai !
Ce que je veux montrer ici, c’est que l’absence de preuves pour un phénomène n’équivaut pas à la preuve de son absence. À part les créationnistes doux-dingues, personne ne remet en cause l’existence historique des dinosaures sous prétexte que l’on n’a pas de certitude quant au phénomène précis qui a présidé à leur disparition. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’il n’est (pas encore ?) prouvable que les PR sont autonomes – ou partiellement autonomes – que leur autonomie est nécessairement une illumination.
Évidemment, les implications d’une telle pensée – fût-elle complètement erronée, sont nombreuses et profondes. Elles se traduisent notamment en des questionnements éthiques, comme la discussion sur les expériences sexuelles avec les PR l’a montré. Il y a d’autres implications, en partie évoquées dans les questions que je posais dans le JR de Paul et qui, de peu ou de loin, touchent à la question de réalités multiples, de mondes juxtaposés, etc. On est vite dans l’ésotérisme (ou la transposition « café du commerce » des théories quantiques), bref le genre de truc que je tiens généralement à l’écart.
Le problème, c’est qu’en tenant à l’écart une position uniquement parce qu’elle est peu accommodante, on risque de passer à côté de connaissances essentielles. Après tout, finalement, la terre n’est pas plate…