La créativité en rêve
Je viens ici vous partager quelques réflexions sur la créativité en rêve, basées en partie sur mes expériences. Je vais concevoir ce post comme une conférence TED, ça peut paraître pompeux et "à l'américaine" (Say yes to life !
) mais y a pas que du mauvais dans ce genre d'exercice. C'est un témoignage.
Il vous est sûrement déjà tous arrivé de faire des dessins quand vous étiez petits. Un papier, un crayon et hop. Et vous avez aussi sûrement remarqué que lorsque vous avez fini, vous courez voir votre maman pour lui montrer que Van Gogh c'est presque surestimé. Vous la revoyez vous caresser la tête en guise de félicitation avant de retourner à ses fourneaux et puis vous retournez à vos aventures d'enfant.
Vous vous souvenez aussi sûrement des moments où vous arriviez à jongler avec un ballon, tout fier de votre exploit qui ferait rougir Zidane. En vous approchant d'un parent, vous voulez reproduire le geste et c'est le flop total. Incapable d'enchaîner plus que 3 jongles et vous devez absolument vous indigner : "Non mais j'y arrivais juste avant !" Je pense que presque tout le monde peut s'identifier à ça. Puis le parent s'éloigne, vous reprenez votre ballon et du premier coup vous enchaînez 10, 15, 20 jongles. Vous criez : "Regarde,
regarde !" mais le parent est déjà parti. Vous êtes seuls avec votre réussite.
Quels sont les mécanismes en jeu ? Excepté le désir de reconnaissance évident (mais je ne suis pas ici pour une psychanalyse
). Pourquoi par moments ça "marche" et d'autres non ? Il doit bien avoir quelque chose, mais je ne suis pas sûr de trouver une réponse à la fin de ce post.
Je vais vous résumer un rêve lucide que j'ai fait il y a quelque temps. Je ne me rappelle plus comment est venue la lucidité mais c'était progressif, et de toute manière le fait que je savais que je rêvais, à quelque degré que ce soit, n'est pas déterminant dans l'histoire. J'étais dans mon salon et un désir de téléportation m'envahit. Mais une idée ingénieuse me vient à l'esprit : au lieu de
me déplacer vers la destination de mon choix, je vais essayer de
faire venir la destination de mon choix vers moi. Et c'est là que mes yeux tombent sur le tableau qui est sur le mur face à moi. C'est un tableau de mon père : un sol enneigé et quelques arbres sans feuilles. Je suis un peu hypnotisé par ce que ça m'évoque. Et j'en parle à mon grand frère (présent dans le rêve) pendant quelques secondes. Je ne me souviens plus trop de ce que je lui disais mais mon attention était fixée sur ce tableau, l'hiver, la neige, le froid, etc... Je décrivais à haute voix les sensations liées à ce décor miniature pour imprégner mon inconscient de son atmosphère. Après quelques instants, je sens que c'est prêt.
Il y a une différence subtile entre sentir et savoir. C'était plus que de la sensation, plus qu'un ressenti ou une intuition. Je savais que lorsque j'ouvrirai la porte de mon salon, je mettrai les pieds dans un décor montagneux similaire à celui du tableau. Point barre. Je le savais. Y'a pas à débattre la dessus. Dans ce rêve, j'ouvre la porte et je me trouve dans un autre monde, un autre village. On a tous en image une scène de cinéma où le personnage court dans l'obscurité ou dans un couloir, puis ouvre une porte pour se retrouver nez à nez avec un paysage renversant. Généralement il s'arrête, la bouche ouverte et pendant 10 secondes il ne répond plus de rien. Dans mon rêve j'étais comme ça. J'étais perdu au milieu d'un désert de neige. La topographie restait plutôt similaire à la réalité, des collines et des monts, mais ils étaient intégralement recouverts d'un manteau blanc, je voyais des groupes de chalets parsemés çà et là, je
savais que j'étais en altitude, et le réalisme était poussé à un tel niveau que je sentais l'étouffement des sons, comme on peut l'observer en hiver quand on marche dans la neige, le bruit étouffé des pas, l'aspect cotonneux des sons ambiants. J'étais dans une bulle, comme enfermé dans une boule à neige. En 10 secondes, je suis passé d'un décor ordinaire, fauteuil, télé, table basse, à un endroit complètement paumé dans la montagne. J'avais bougé sans avoir bougé d'un millimètre.
Ce rêve je m'en souviendrai toujours.
Mais ce n'est pas tant dans l'aspect renversant du changement de décor que dans ce qu'il m'a enseigné sur la créativité en rêve—je pourrais faire des centaines de rêves de ce genre mais il m'a suffi d'un seul pour comprendre des centaines de choses. Oui, sur le moment j'étais complètement assommé par ma réussite de téléportation, par la rapidité du processus, par l'efficacité de création mais c'est sur le long terme que j'en ai tiré des leçons. Qu'est-ce que ce rêve dit ? Qu'il faut être malin en rêve, se servir de tous les éléments à notre portée pour construire quelque chose qui nous plaît. Qu'il ne faut se servir que des éléments pertinents et les diriger dans une direction, un peu à la manière d'un bateau en papier sur lequel on souffle pour lui imprimer gentiment une direction sur son petit cours d'eau dans la rue.
Ça vous est déjà sûrement arrivé de vouloir faire le démiurge dans un rêve lucide, sur un coup de tête. C'est une méthode incertaine. Je me souviens en particulier d'un rêve lucide dans lequel je balançais mes bras en l'air comme un Zeus en mal de pouvoir, essayant tant bien que mal de faire apparaître un éclair dans le ciel. Un ciel sans nuages ! J'ai fait deux ou trois essais pitoyables et il ne s'est absolument rien passé. On fait ce qu'on veut dans un rêve lucide ? Faut croire que non. Pourquoi ?
Dans le premier bouquin de Robert Waggoner, on trouve un terme intéressant, que j'ai mis un peu de temps à comprendre vraiment. Je le comprenais conceptuellement, mathématiquement mais de là à l'intégrer dans toute sa signification, d'en voir les fonctionnements et les mécanismes, il y a un fossé. Ce terme c'est :
l'inconscient conscient. Il explique que l'inconscient n'est pas ce mécanisme automatique, qu'il est doté d'une âme, qu'il est aussi conscient et réfléchi que nous. C'est juste qu'il faut apprendre à le reconnaître comme tel pour mieux interagir avec. Le dialogue entre nous-mêmes et cette "entité" consciente qu'est l'inconscient est très important dans la créativité onirique. En réalité, dans le langage populaire "inconscient" est l'antonyme de "conscient". Inconscience : être dans un état d'évanouissement. Contraire de conscient : par exemple après un accident : "il est conscient". Ou alors on a l'acception ordinaire associée au caractère insouciant, à une mauvaise estimation des risques : "il est inconscient de faire ça..."
Mais ce ne sont pas des termes qui nous intéressent ici car on ne voit pas l'inconscient comme un adjectif ni comme un état d'esprit. En tant que rêveur lucide, l'inconscient c'est quelque chose de concret, de vivant. On évolue dans l'inconscient à chaque seconde de rêve, cet inconscient c'est une continuité de nous-mêmes. Dans l'acception Freudienne, ça reste encore un "concept", "quelque chose" alors qu'en rêve lucide, c'est vraiment une réalité, on pourrait presque palper l'inconscient, on nage en plein dedans.
Mais (car il y a un mais
), cet inconscient a quand même tendance à nous échapper, même dans le plus lucide de nos rêves. Ce mur entre notre moi de rêve (le sujet qui voit, entend, etc...) et l'inconscient existe encore. C'est pourquoi on garde ce terme d'inconscient, parce que ça reste une sorte de facette de notre psyché qui reste cachée. Le défi des rêveurs lucides, c'est d'arriver à communiquer avec et je peux vous dire que c'est loin d'être évident. Coluche disait : "Dieu est comme le sucre dans le lait chaud ; il est partout et on ne le voit pas, et plus on le cherche moins on le trouve." L'inconscient est littéralement
partout quand nous rêvons. C'est le mur, c'est l'arbre, c'est le gravier au sol, c'est le ciel, c'est la voiture, c'est nous aussi. Quelque part on est l'inconscient. Un bout d'inconscient, minuscule. Mais quand on essaie de l'aborder frontalement, c'est souvent l'échec. Franchement, essayer de faire apparaître un éclair dans un ciel bleu ? C'est pas comme ça que ça marche. Ça pourrait marcher, je dis pas, mais faut s'y prendre différemment, jouer avec l'inconscient. D'abord faire apparaître des nuages, puis sentir une goutte de pluie, s'imaginer entendre un bruit de tonnerre quelque part et ensuite essayer de faire apparaître un éclair. Il faut essayer de franchir la barrière qui nous oppose à l'inconscient. Et la seule manière de procéder c'est d'aborder cet entité comme quelque chose d'extrêmement timide et surtout, qui n'aime pas qu'on le regarde pendant qu'il bosse.
Il faut apprendre à déléguer et à dialoguer. Dans mon rêve de téléportation dans la montagne, j'ai engagé un dialogue avec une couche profonde de l'inconscient. J'étais le sujet du rêve, conscient, pensant, préméditant, mais quand je parlais du tableau à mon frère, je sentais qu'il se passait quelque chose en profondeur. Quelque chose d'important et de fondamental dans la suite du rêve. Je pouvais presque m'imaginer des dizaines d'accessoiristes, de décorateurs, des maquilleurs, ce que vous voulez, tous dans une activité folle, déposant des chalets vers une colline, saupoudrant toute l'entièreté du sol de neige bien blanche. Bref, je sentais ça presque
physiquement. Vraiment j'étais là au premier plan, couche consciente et visible avec mon frère, le tableau, le salon, mon petit dialogue et derrière tout ça, je sentais la machine implacable du rêve. L'angle mort. Tout ce que je ne peux pas voir mais ressentir, toute la mécanique de création. Ça grouillait en coulisse, c'est presque comme si j'entendais les frottements des pas derrière le rideau, le bruit des meubles et des accessoires que les techniciens de plateau déplaçaient. En fait, je n'avais rien à faire, jute attendre qu'ils finissent de mettre du charbon dans le four.
Et dès que c'était fini, je le sentais aussi. Un gros silence, un état stable, chargement terminé comme avant de commencer un niveau dans un jeu vidéo. Barre à 100%, complet, décor suivant. C'est prêt.
Start. L'inconscient marche vraiment comme un processeur mais notre rôle à nous se cantonne à l'orchestration. On fait un mouvement de baguette sur le côté et les dizaines de musiciens commencent une mélodie. Vouloir faire le démiurge comme dans mon exemple de l'apparition de l'éclair, c'est un peu comme descendre de son pupitre et essayer de jouer sur les instruments des musiciens. Ça ne marchera pas, chacun son rôle. L'inconscient fonctionne très bien tout seul, sans aide extérieure, il est totalement autonome. D'ailleurs, c'est en lui tournant le dos qu'il fait le mieux son boulot. Si on le regarde dessiner, ça le bloquera.
En fait, il faut veiller à garder une distance convenable entre lui et nous. Garder un mur, mais quand même réussir à sentir la présence derrière. Dans nos rêves, nous sommes des adultes et notre rôle c'est de laisser l'enfant s'exprimer pleinement et sans pression. Le laisser dans une pièce faire son dessin tranquillement et venir voir de temps en temps le résultat. Le bon fonctionnement du rêve dépend directement de ce dialogue indirect. Dans mon exemple de téléportation, je parlais à mon frère, en fait c'est comme si j'étais une mère qui parlait à son mari pendant que mon enfant jouait dans le jardin. Je lui disais : "Tu vas voir le beau dessin qu'il va nous amener." J'étais dans une confiance totale envers le résultat
mais toujours à ma place de chef d'orchestre. Je laisse faire, tout en poussant le bateau dans la direction choisie.
En tant que rêveur j'ai une grande responsabilité. Je suis quelque part le porte-parole de l'inconscient, l’œil du cyclope qui domine un territoire immense. Mais ce qu'il faut apprendre c'est rétablir un lien entre le haut de la pyramide et la base. Il faut comprendre que le rêve est une extension de nous-mêmes tout en respectant la hiérarchie. Je suis cet arbre, ce mur, ce tableau et ce gravier mais encore plus que ça, je suis l'entité qui se cache derrière. C'est moi. Mais c'est une couche tellement profonde qu'on continue d'appeler ça "inconscient", on continue de penser cette entité comme un être extérieur. C'est nécessaire, c'est le mur. L'angle mort.
Vous avez le privilège de regarder derrière le mur par moments puis vous retournez à vos fourneaux, pendant que l'enfant retourne à ses aventures.